· Traitement de l'eau  · 7 min read

THM et sous-produits de chloration : Le paradoxe de la désinfection

Le chlore sauve des vies en tuant les bactéries, mais il peut créer des composés indésirables : les Trihalométhanes (THM). Faut-il s'en inquiéter ?

Le chlore sauve des vies en tuant les bactéries, mais il peut créer des composés indésirables : les Trihalométhanes (THM). Faut-il s'en inquiéter ?

Introduction : Le revers de la médaille

La chloration de l’eau potable est sans doute l’une des plus grandes avancées de santé publique du XXe siècle. Elle a permis d’éradiquer des maladies hydriques mortelles comme le choléra, la typhoïde ou la dysenterie (voir notre article sur le risque microbiologique) dans les pays développés. Le chlore est un désinfectant puissant, rémanent (il agit jusqu’au robinet) et peu coûteux.

Mais cette médaille a un revers. Le chlore n’est pas sélectif. En réagissant avec les matières organiques naturellement présentes dans l’eau (feuilles décomposées, algues, humus), il forme une famille de composés chimiques involontaires : les sous-produits de désinfection (SPD). Les plus connus et les plus réglementés sont les Trihalométhanes (THM).

Ces substances sont suspectées d’être cancérigènes à long terme. Nous sommes donc face à un dilemme sanitaire : comment tuer les microbes (risque immédiat et mortel) sans empoisonner la population avec des produits chimiques (risque chronique potentiel) ?


1. La chimie des THM : Comment se forment-ils ?

La réaction

Réaction de formation des THM

La formation des THM est une réaction chimique simple mais inévitable : Chlore + Précurseurs Organiques = THM + Autres sous-produits

  • Le Chlore : Utilisé sous forme de gaz (Cl2) ou d’eau de Javel (hypochlorite de sodium).
  • Les Précurseurs : Ce sont les matières organiques naturelles (Carbone Organique Dissous - COD) présentes dans l’eau brute (rivière, lac). Plus l’eau est “sale” ou riche en humus, plus il y a de précurseurs.

Les 4 Fantastiques

Le terme “Trihalométhanes” regroupe principalement quatre molécules :

  1. Chloroforme (Trichlorométhane) : Le plus fréquent. Autrefois utilisé comme anesthésiant.
  2. Bromoforme (Tribromométhane).
  3. Dibromochlorométhane.
  4. Bromodichlorométhane.

La présence de brome dépend de la teneur en bromures de l’eau brute (souvent liée à une influence marine ou géologique).

Facteurs favorisants

La concentration en THM augmente avec :

  • La quantité de chlore injectée.
  • La quantité de matière organique dans l’eau.
  • La température (plus l’eau est chaude, plus la réaction est rapide).
  • Le temps de contact (plus l’eau voyage longtemps dans les tuyaux, plus les THM se forment). C’est pourquoi les taux sont souvent plus élevés en bout de réseau.

2. Risques pour la Santé : Ce que disent les études

Les THM sont classés comme cancérogènes possibles ou probables pour l’homme par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer).

Cancer de la vessie

C’est le risque le plus documenté. De nombreuses études épidémiologiques (portant sur des centaines de milliers de personnes pendant des décennies) ont montré une association modeste mais consistante entre une consommation à vie d’eau chlorée riche en THM et une augmentation du risque de cancer de la vessie (et parfois du côlon-rectum). On estime que ce risque reste faible par rapport à d’autres facteurs (tabac, alimentation), mais il n’est pas nul.

Troubles de la reproduction

Des études suggèrent un lien possible entre une forte exposition aux THM pendant la grossesse et des problèmes tels que :

  • Fausses couches spontanées.
  • Retard de croissance intra-utérin.
  • Malformations congénitales. Cependant, les preuves scientifiques sont moins solides que pour le cancer, et les résultats sont parfois contradictoires.

Voies d’exposition

L’ingestion d’eau n’est pas la seule voie ! Les THM sont des composés volatils.

  • Inhalation : Lors d’une douche chaude ou d’un bain, les THM s’évaporent et sont inhalés. Cette voie peut représenter une part importante de l’exposition totale.
  • Absorption cutanée : Les THM peuvent traverser la peau lors du bain ou à la piscine.

3. Le cas des piscines : Une “soupe” de THM

Si l’eau du robinet contient des traces de THM, l’eau des piscines en est un concentré. Pourquoi ? Parce que les baigneurs apportent énormément de matière organique : sueur, peaux mortes, cosmétiques, et… urine. Le chlore réagit avec cette matière pour former des THM, mais aussi des chloramines (responsables de l’odeur piquante de “chlore” et de l’irritation des yeux).

  • L’air des piscines couvertes est souvent chargé en trichloramine et en chloroforme.
  • Les nageurs de compétition et les maîtres-nageurs sont plus exposés à des problèmes respiratoires (asthme du nageur) liés à ces sous-produits.
  • Conseil : La douche savonnée AVANT la baignade est le geste citoyen n°1 pour réduire la formation de ces toxiques. Moins de sueur = moins de réaction chimique.

4. Réglementation : L’équilibre bénéfice/risque

Les autorités sanitaires appliquent un principe de réalité : le risque microbiologique (épidémie) prime sur le risque chimique à long terme. On ne peut pas arrêter de chlorer. Mais on doit limiter les THM.

La norme

En France et en Europe, la limite de qualité pour la somme des 4 THM est fixée à 100 µg/L (microgrammes par litre). Aux États-Unis, la norme est un peu plus stricte (80 µg/L).

Comment les usines respectent-elles la norme ?

La stratégie n’est pas d’enlever les THM une fois formés, mais d’empêcher leur formation :

  1. Mieux filtrer avant de chlorer : Les usines modernes poussent le traitement (charbon actif, membranes) pour éliminer un maximum de matière organique (les précurseurs) AVANT l’étape finale de désinfection au chlore. Moins de matière organique = moins de THM.
  2. Ajuster le chlore : Doser le chlore au plus juste, ou utiliser des chloramines (moins réactives) en désinfection secondaire, bien que cela crée d’autres problèmes.

5. Solutions individuelles : Comment réduire son exposition ?

Vous pouvez agir facilement chez vous pour éliminer les THM, car ce sont des composés volatils et adsorbables.

1. L’aération (Le geste gratuit)

Les THM sont volatils (comme l’alcool ou l’éther).

  • Si vous remplissez une carafe d’eau et la laissez ouverte au réfrigérateur (ou sur la table) pendant quelques heures, une grande partie du chlore et des THM va s’évaporer naturellement.
  • C’est aussi pourquoi l’eau a meilleur goût après avoir “reposé”.

2. La filtration sur charbon actif

Le charbon actif est extrêmement efficace pour adsorber le chlore et ses sous-produits organochlorés (THM).

  • Carafes filtrantes : Très efficaces pour le goût et les THM.
  • Filtres sur robinet / Frigo américain : Idem. C’est la solution la plus simple pour boire une eau sans arrière-goût et sans sous-produits.

3. Dans la salle de bain

  • Ventilation : Aérez bien la salle de bain pendant et après la douche pour évacuer les vapeurs de chloroforme.
  • Douches courtes et moins chaudes : Réduit la volatilisation et l’inhalation.

6. Foire Aux Questions (FAQ)

Q : L’odeur de chlore signifie-t-elle qu’il y a beaucoup de THM ? R : Pas forcément. L’odeur de “Javel” vient souvent des chloramines (réaction chlore + ammoniaque/sueur) plutôt que du chlore libre ou des THM. Cependant, une forte odeur indique une forte réactivité chimique, donc potentiellement des sous-produits. Paradoxalement, une eau bien traitée et propre sent peu le chlore.

Q : Le chlore est-il le seul désinfectant ? R : Non. On utilise aussi l’ozone (O3) et les ultraviolets (UV) en usine. Ils sont très efficaces et ne créent pas de THM. Mais ils n’ont pas d’effet rémanent : une fois l’eau dans les tuyaux, elle n’est plus protégée contre une re-contamination. C’est pourquoi on ajoute toujours une “goutte” de chlore final pour sécuriser le transport jusqu’au robinet.

Q : Les THM provoquent-ils des cancers immédiatement ? R : Non. Le risque est calculé sur une exposition “vie entière” (70 ans). C’est un risque probabiliste très faible à l’échelle individuelle, mais significatif à l’échelle d’une population.

Q : L’eau de pluie contient-elle des THM ? R : Non, car elle n’est pas chlorée. Mais elle peut contenir d’autres polluants atmosphériques et des bactéries. Elle est interdite pour la consommation humaine en France (sauf dérogation complexe) car non potabilisée.

Q : Pourquoi mon eau sent-elle plus le chlore en hiver ou lors du plan Vigipirate ? R : En hiver, l’eau froide ralentit les réactions, le chlore reste “libre” plus longtemps. Lors des plans Vigipirate, les autorités demandent d’augmenter légèrement les doses de chlore par sécurité (protection contre le bioterrorisme ou les intrusions dans les réservoirs).


7. Glossaire

  • SPD : Sous-Produits de Désinfection. Famille de molécules créées par la réaction du désinfectant avec la matière organique.
  • Précurseur : Matière organique naturelle (acides humiques, fulviques) qui réagit avec le chlore.
  • Volatil : Qui s’évapore facilement à température ambiante.
  • Rémanent : Qui persiste dans le temps. Propriété essentielle du chlore pour protéger le réseau de distribution.
  • Cancérogène : Qui peut provoquer le cancer.
  • Mutagène : Qui peut provoquer des mutations de l’ADN.

Conclusion

Les THM sont le prix à payer pour notre sécurité microbiologique. C’est un compromis de santé publique assumé : mieux vaut un risque théorique de cancer à 70 ans qu’une épidémie de choléra demain.

Cependant, ce compromis n’est pas une fatalité. Les progrès techniques dans les usines de traitement permettent de réduire sans cesse ces taux. Et à la maison, des gestes simples (aération, filtration) permettent d’éliminer quasi-totalement ces résidus avant de boire. L’eau du robinet reste, malgré les THM, l’aliment le plus contrôlé et l’un des plus sûrs.

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