· Pollution Plastique · 9 min read
Microplastiques : L'invasion invisible
Ils sont partout : dans les océans, l'air que nous respirons et l'eau que nous buvons. Enquête sur cette pollution plastique qui contamine toute la chaîne alimentaire.
Introduction : L’ère du “Plasticène”
Si les géologues du futur devaient définir notre époque par une couche sédimentaire, ce serait sans doute celle du plastique. Inventé au début du XXe siècle, ce matériau a révolutionné nos vies par sa légèreté, sa résistance et son faible coût. Mais ce succès a un revers sombre : sa durabilité. Le plastique ne disparaît pas, il se fragmente.
Chaque année, des millions de tonnes de déchets plastiques finissent dans l’environnement. Sous l’action du soleil (UV), des vagues et de l’abrasion mécanique, bouteilles, sacs et emballages se désagrègent en particules de plus en plus petites, jusqu’à devenir invisibles à l’œil nu. On entre alors dans le monde des microplastiques et des nanoplastiques.
Cette pollution n’est pas seulement un problème pour les tortues marines ou les albatros. Elle nous touche directement. Des études récentes ont retrouvé des microplastiques dans le sang humain, les poumons, le placenta et, bien sûr, dans l’eau que nous buvons chaque jour.
1. Qu’est-ce qu’un microplastique ?
La communauté scientifique classe les débris plastiques selon leur taille :
De la bouteille à la poussière

Le plastique ne disparaît jamais vraiment. Il se fragmente.
- Macroplastiques : Bouteilles, sacs (> 5 mm).
- Mésoplastiques : 5 à 25 mm (Bouchons, fragments).
- Microplastiques : 1 micromètre (µm) à 5 mm. C’est la catégorie la plus étudiée.
- Nanoplastiques : < 1 µm (1000 fois plus petit qu’un millimètre). Ils sont si petits qu’ils peuvent traverser les barrières cellulaires.
D’où viennent-ils ?
On distingue deux origines principales :
Microplastiques primaires (15-30%) : Ils sont fabriqués intentionnellement petits.
- Granulés industriels (larmes de sirène) : La matière première de l’industrie plastique, souvent perdue lors du transport.
- Microbilles cosmétiques : Exfoliants, dentifrices (interdits dans certains pays, mais pas partout).
- Fibres textiles synthétiques : Chaque lavage d’un vêtement en polyester ou polaire libère des milliers de microfibres dans les eaux usées.
- Poussière de pneus : L’abrasion des pneus sur la route génère des tonnes de particules qui sont lessivées par la pluie vers les rivières.
Microplastiques secondaires (70-85%) : Ils proviennent de la dégradation de gros objets en plastique (sacs, bouteilles, filets de pêche) abandonnés dans la nature.
2. Le cycle de l’eau contaminé
Contrairement à une idée reçue, les océans ne sont pas les seuls touchés. Le cycle de l’eau terrestre est le principal vecteur de transport.
Des rivières aux robinets
Les stations d’épuration filtrent une partie des microplastiques (jusqu’à 90% pour les plus gros), mais les microfibres et les nanoplastiques passent à travers les mailles du filet. Ils se retrouvent dans les rivières, qui servent de source d’eau potable. Les usines de potabilisation, grâce aux étapes de floculation et de filtration sur sable, sont assez efficaces pour retenir les microplastiques (> 10-20 µm). Cependant, aucune barrière n’est absolue à 100% pour les nanoplastiques.
L’eau en bouteille : Une surprise de taille
Plusieurs études chocs (notamment celle d’Orb Media) ont révélé que l’eau en bouteille contient souvent plus de microplastiques que l’eau du robinet.
- Origine : La contamination vient souvent de la bouteille elle-même (bouchon qui se visse/dévisse, corps de la bouteille) lors du processus d’embouteillage industriel.
- Types : On retrouve principalement du PET (polyéthylène téréphtalate, le plastique de la bouteille) et du PP (polypropylène, le plastique du bouchon).
3. Quels risques pour la santé ?
C’est un domaine de recherche en pleine explosion. Si l’ingestion de plastique semble intuitivement mauvaise, les mécanismes exacts de toxicité sont complexes.
1. L’effet physique (Corps étranger)
L’accumulation de particules inertes dans le système digestif ou respiratoire peut créer une inflammation chronique.
- Translocation : Les nanoplastiques (< 150 µm) peuvent traverser la paroi intestinale et passer dans le système lymphatique ou sanguin.
- Organes cibles : On en a retrouvé dans le foie, les reins et la rate. Leur présence pourrait perturber le fonctionnement cellulaire ou immunitaire.
2. L’effet chimique (Le cocktail toxique)
Le plastique n’est jamais pur. Il contient des additifs ajoutés lors de la fabrication pour lui donner ses propriétés (souplesse, couleur, résistance au feu) :
- Phtalates (plastifiants).
- Bisphénol A (durcisseur).
- Retardateurs de flamme. Beaucoup de ces additifs sont des perturbateurs endocriniens ou des cancérigènes avérés. Une fois ingéré, le microplastique peut relarguer ces substances dans le corps.
3. L’effet “Cheval de Troie” (Vecteur)
Dans l’environnement, les microplastiques agissent comme des éponges.
- Polluants chimiques : Ils adsorbent (fixent en surface) d’autres polluants présents dans l’eau (pesticides, métaux lourds, PCB), concentrant ainsi la toxicité.
- Micro-organismes : Une fine couche biologique se forme à leur surface (la “plastisphère”), pouvant abriter des bactéries pathogènes (Vibrio, E. coli) ou des virus, et les transporter sur de longues distances jusque dans notre verre.
4. Impact Environnemental : Une catastrophe silencieuse
Océans et vie marine
Les images d’animaux étouffés par des sacs plastiques sont choquantes, mais l’impact des microplastiques est plus insidieux.
- Zooplancton : À la base de la chaîne alimentaire, le plancton ingère des microplastiques en les confondant avec des algues.
- Faux sentiment de satiété : Les animaux (poissons, oiseaux) qui ont l’estomac rempli de plastique ne mangent plus à leur faim et finissent par mourir de malnutrition.
- Bioamplification : Les contaminants portés par les plastiques remontent la chaîne alimentaire jusqu’à nous.
Sols et Agriculture
On parle moins de la pollution des sols, pourtant elle est massive. L’épandage de boues d’épuration (qui concentrent les microplastiques filtrés des eaux usées) et l’utilisation de paillages plastiques en agriculture contaminent les terres arables. Des études montrent que les microplastiques peuvent affecter la croissance des plantes et la vie des vers de terre, essentiels à la fertilité des sols.
5. Réglementation : Le début de la fin du plastique ?
La prise de conscience mondiale commence à se traduire en lois, mais le chemin est long.
Union Européenne
- Interdiction des plastiques à usage unique (2021) : Pailles, couverts, cotons-tiges, assiettes… Une première étape symbolique et efficace pour réduire les macro-déchets.
- Restriction des microplastiques ajoutés intentionnellement (2023) : L’UE a adopté une restriction majeure visant à interdire progressivement les microplastiques ajoutés dans les produits (paillettes, cosmétiques, détergents, terrains de sport synthétiques). L’objectif est d’éviter le rejet de 500 000 tonnes de microplastiques en 20 ans.
- Directive Eaux Urbaines Résiduaires (Révision) : Elle prévoit de renforcer les exigences de traitement pour les micropolluants, incluant potentiellement les microplastiques.
France
La loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) fixe l’objectif de la fin des emballages en plastique à usage unique d’ici 2040. Elle impose aussi des filtres à microfibres sur les machines à laver neuves (à partir de 2025), une mesure pionnière au niveau mondial.
6. Solutions : Comment limiter l’ingestion ?
Nous ingérons l’équivalent d’une carte de crédit de plastique par semaine (environ 5 grammes), selon une étude du WWF. Comment réduire cette dose ?
Filtrer son eau
- Eau du robinet : Bien que moins contaminée que l’eau en bouteille, elle peut contenir des microfibres. Un filtre à charbon actif (bloc) ou une osmose inverse sont très efficaces pour retenir physiquement ces particules (qui sont “grosses” par rapport aux molécules chimiques).
- Éviter les bouteilles plastique : C’est le geste le plus efficace. Privilégiez l’eau du robinet (filtrée si besoin) et utilisez des gourdes en inox ou en verre.
Changer ses habitudes
- Vêtements : Privilégiez les fibres naturelles (coton, lin, laine) aux synthétiques (polyester, acrylique). Lavez moins souvent et à basse température. Utilisez un sac de lavage “Guppyfriend” qui capture les microfibres.
- Cosmétiques : Vérifiez les étiquettes. Évitez les produits contenant du “Polyethylene” (PE), “Polypropylene” (PP), ou des “Acrylates copolymer”. Attention aussi aux PFAS dans le maquillage waterproof.
- Cuisine : Évitez de chauffer des aliments dans des contenants en plastique (micro-ondes), car la chaleur accélère la migration des particules et des additifs vers la nourriture.
7. Foire Aux Questions (FAQ)
Q : Les microplastiques sont-ils visibles à l’œil nu ? R : Certains oui, d’autres non. La limite de visibilité est d’environ 0,1 mm (100 µm). Les microplastiques vont de 5 mm (taille d’un grain de riz) à 1 µm (taille d’une bactérie). Les nanoplastiques sont totalement invisibles, même au microscope optique classique.
Q : L’eau bouillie élimine-t-elle les microplastiques ? R : Non. Le plastique ne s’évapore pas. Au contraire, faire bouillir de l’eau dans une bouilloire en plastique peut libérer des millions de microparticules supplémentaires dans l’eau chaude.
Q : Les filtres à eau classiques (carafes) arrêtent-ils les microplastiques ? R : Oui, en grande partie. La plupart des microplastiques sont assez gros (> 10 µm) pour être piégés physiquement par les grains de charbon ou la maille du filtre. Cependant, les nanoplastiques peuvent passer.
Q : Peut-on éliminer les microplastiques de son corps ? R : Partiellement. Le corps possède des mécanismes d’élimination (mucus, excrétion). Les plus grosses particules ingérées sont évacuées par les selles. Le problème concerne les plus fines qui traversent les tissus et s’accumulent (bioaccumulation). Il n’existe pas de “détox” miracle.
Q : Le sel de table contient-il du plastique ? R : Oui, souvent. Le sel de mer est obtenu par évaporation de l’eau de mer… qui contient des microplastiques. Le sel de mine (sel gemme) est épargné car il provient de gisements géologiques anciens formés avant l’invention du plastique.
8. Glossaire
- Polymère : Grosse molécule formée par l’enchaînement de motifs répétés (monomères). Le plastique est un polymère.
- Plastisphère : Écosystème microbien qui se développe à la surface des déchets plastiques en mer.
- Lixiviat : “Jus” de décharge ou de compost qui peut contenir des polluants dissous.
- PET : Polyéthylène Téréphtalate (bouteilles d’eau, fibres textiles).
- Bioamplification : Augmentation de la concentration d’un polluant au fur et à mesure que l’on monte dans la chaîne alimentaire.
Conclusion
Les microplastiques sont le symbole de notre empreinte indélébile sur la planète. Ils ont infiltré les cycles naturels les plus intimes, jusqu’à notre propre sang. Si la science commence à peine à mesurer l’ampleur des conséquences sanitaires, le principe de précaution impose d’agir.
La solution n’est pas technologique (on ne pourra pas filtrer tous les océans), mais sociétale : il faut fermer le robinet du plastique à la source. Réduire, réutiliser, et refuser le plastique inutile est la seule voie durable. Pour notre eau de boisson, le retour au robinet (avec une filtration adaptée si nécessaire) et l’abandon de la bouteille plastique est un acte de santé publique et d’écologie.
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