· Risque Biologique · 8 min read
Bactéries et Virus : Le risque microbiologique
E. coli, Légionelles, Cryptosporidium... Quels sont les micro-organismes qui menacent notre eau et comment s'en prémunir ?
Introduction : La guerre invisible
Avant l’ère de la chimie et des polluants industriels, l’eau était d’abord crainte pour ce qu’elle transportait de vivant : la mort invisible. Choléra, typhoïde, dysenterie… Pendant des millénaires, boire de l’eau a été un pari risqué.
Aujourd’hui, dans les pays développés, nous avons tendance à oublier ce risque “ancestral”. Nous ouvrons le robinet sans penser qu’une goutte d’eau peut contenir des millions de micro-organismes. Si la chloration a permis de vaincre les grandes épidémies, la menace microbiologique n’a pas disparu. Elle a changé de visage.
Des bactéries résistantes, des parasites tenaces ou des virus émergents continuent de défier nos systèmes de traitement. De plus, la stagnation de l’eau dans nos propres réseaux domestiques peut créer de nouveaux foyers d’infection (légionelles). Cet article vous plonge dans l’infiniment petit pour comprendre qui sont ces intrus et comment garder une eau saine.
1. Le bestiaire aquatique : Qui sont-ils ?

L’eau brute (rivière, lac, nappe) est un milieu vivant. Elle contient naturellement une flore microbienne riche et souvent inoffensive. Le danger vient des germes pathogènes, souvent issus de la contamination fécale (rejets humains ou animaux).
Les Bactéries
Ce sont des organismes unicellulaires.
- Escherichia coli (E. coli) : La star des analyses. C’est une bactérie intestinale. Sa présence dans l’eau signe une contamination fécale récente. La plupart des souches sont inoffensives, mais certaines (E. coli O157:H7) peuvent être mortelles (syndrome hémolytique et urémique).
- Entérocoques : Autre marqueur de contamination fécale, plus résistant que E. coli dans l’environnement.
- Légionelles (Legionella pneumophila) : Bactéries qui aiment l’eau chaude et stagnante. Elles ne s’attrapent pas en buvant, mais en respirant les gouttelettes (douche).
- Salmonelles / Shigelles : Responsables de graves gastro-entérites et fièvres typhoïdes.
Les Virus
Beaucoup plus petits que les bactéries, ils ont besoin d’un hôte pour se multiplier.
- Norovirus / Rotavirus : Les champions de la gastro-entérite hivernale. Très résistants dans l’environnement.
- Hépatite A et E : Virus hépatiques transmissibles par l’eau souillée (ou les coquillages).
Les Parasites (Protozoaires)
Des organismes plus complexes, souvent sous forme de kystes ou d’oocystes très résistants.
- Cryptosporidium : Un cauchemar pour les usines d’eau car il résiste au chlore ! Il provoque des diarrhées sévères (cryptosporidiose), dangereuses pour les immunodéprimés.
- Giardia : Provoque la giardiase (troubles digestifs chroniques). Surnommé la “maladie du castor” au Canada.
2. Les voies de contamination
Comment ces germes arrivent-ils dans notre verre ?
La contamination à la source
- Rejets d’eaux usées : Une station d’épuration défaillante ou un débordement d’égout lors d’orages peut rejeter des milliards de germes dans la rivière.
- Agriculture : L’épandage de lisier ou le pâturage près des cours d’eau apporte des germes animaux (zoonoses).
- Faune sauvage : Les déjections d’oiseaux ou de mammifères peuvent contaminer les réservoirs ou les captages.
La contamination dans le réseau (Le biofilm)
Les tuyaux ne sont pas lisses. Ils sont tapissés d’une fine couche gluante appelée biofilm. C’est une “ville” pour microbes où les bactéries se protègent, se nourrissent et se multiplient.
- Si le taux de chlore baisse trop dans le réseau, le biofilm peut relarguer des bactéries dans l’eau.
- Les réparations sur le réseau (casse de canalisation) peuvent introduire de la terre et des germes.
La contamination domestique
C’est souvent là que le risque est le plus élevé aujourd’hui.
- Bras morts : Un tuyau où l’eau ne circule plus (ex: robinet de jardin en hiver, chambre d’amis inutilisée) devient un bouillon de culture.
- Chauffe-eau : Si la température est trop basse (< 50°C), les légionelles prolifèrent.
- Adoucisseurs / Filtres mal entretenus : Un filtre non changé devient un nid à bactéries.
3. Impacts sur la Santé : De la “tourista” au danger mortel
Le risque microbiologique est un risque aigu (immédiat), contrairement au risque chimique (long terme).
Gastro-entérite aiguë
C’est le symptôme le plus fréquent. Nausées, vomissements, diarrhées, fièvre.
- Souvent bénigne chez l’adulte en bonne santé.
- Dangereuse chez le nourrisson (déshydratation rapide) et la personne âgée.
- On estime qu’une partie des épidémies de gastro hivernales pourrait être liée à l’eau du robinet (lors de fortes pluies contaminant les captages), bien que la transmission interhumaine reste majoritaire.
Légionellose
C’est une pneumonie grave.
- Symptômes : Forte fièvre, toux sèche, confusion, atteinte pulmonaire sévère.
- Mortalité : 10 à 15% des cas, malgré les antibiotiques.
- Transmission : Inhalation d’aérosols d’eau contaminée (douche, spa, climatisation). Pas de transmission interhumaine.
Risques spécifiques
- Femmes enceintes : L’hépatite E peut être grave.
- Immunodéprimés : La cryptosporidiose peut être chronique et mortelle.
4. La barrière de sécurité : Comment l’eau est-elle désinfectée ?
Le traitement de l’eau potable est une succession de barrières pour arrêter les microbes.
1. La clarification
En faisant décanter les particules et en filtrant sur du sable, on élimine déjà 90 à 99% des microbes, qui sont souvent fixés sur les matières en suspension.
2. La désinfection physique (Usine)
- Ozone (O3) : Un gaz oxydant très puissant qui “brûle” les parois des cellules et inactive les virus.
- Ultraviolets (UV) : Les rayons UV cassent l’ADN des microbes, les empêchant de se reproduire. Très efficace contre le Cryptosporidium.
3. La désinfection chimique (Réseau)
- Chlore : C’est l’arme ultime. On en ajoute une petite dose en sortie d’usine pour garantir qu’il reste un désinfectant actif tout au long du voyage dans les tuyaux. C’est le principe de la rémanence. Sans chlore, l’eau pourrait se recontaminer dans le réseau. (Voir notre article sur les sous-produits de la chloration).
Le contrôle sanitaire
L’eau est testée très fréquemment. On ne cherche pas tous les microbes (impossible), mais des indicateurs : E. coli et Entérocoques.
- Si E. coli = 0, l’eau est conforme.
- Si E. coli > 0, l’eau est non potable. Le maire doit alerter la population (interdiction de boire ou obligation de faire bouillir).
5. Le cas particulier des Légionelles
La lutte contre les légionelles se joue principalement à l’intérieur des bâtiments.
La règle des températures
Les légionelles aiment l’eau tiède (25-45°C).
- En dessous de 20°C : Elles dorment (ne se multiplient pas).
- Entre 25°C et 45°C : Elles se multiplient à toute vitesse (optimum à 37°C).
- Au-dessus de 50°C : Elles arrêtent de croître.
- Au-dessus de 60°C : Elles meurent rapidement.
Prévention chez soi
- Régler son chauffe-eau : La température de sortie doit être d’au moins 55°C (mais attention aux brûlures, installez un mitigeur thermostatique au point d’usage).
- Faire couler l’eau : Au retour de vacances, faites couler l’eau (froide et chaude) de tous les robinets et douches pendant 2 minutes pour purger l’eau stagnante. Sortez de la pièce pour ne pas respirer les premières vapeurs.
- Détartrer : Le calcaire est un refuge pour les légionelles. Détartrez régulièrement les pommeaux de douche et les mousseurs.
6. Solutions : Purifier son eau à la maison
Si vous doutez de la qualité microbiologique de votre eau (ex: puits privé, voyage, alerte en cours), des solutions existent.
1. L’ébullition
La méthode la plus ancienne et la plus sûre. Faire bouillir l’eau à gros bouillons pendant 1 à 3 minutes tue tous les bactéries, virus et parasites.
2. La filtration mécanique (Ultrafiltration)
- Les filtres céramiques ou membranes à fibres creuses (seuil de 0,1 ou 0,01 micron) arrêtent physiquement les bactéries et les parasites.
- Attention : La plupart ne filtrent PAS les virus (trop petits), sauf l’ultrafiltration très fine ou l’osmose inverse.
3. La désinfection UV domestique
Il existe de petits systèmes UV à installer sous l’évier ou des gourdes UV. Très efficace, sans produits chimiques, mais nécessite une eau claire (si l’eau est trouble, les UV ne passent pas).
4. La chloration (Comprimés)
Pour la randonnée ou l’urgence (Micropur, Aquatabs). Efficace mais goût prononcé et temps d’attente nécessaire (30 min à 2h).
7. Foire Aux Questions (FAQ)
Q : L’eau du robinet est-elle stérile ? R : Non. Elle ne contient pas de germes pathogènes (qui rendent malade), mais elle contient une flore banale inoffensive (“bactéries revivifiables”). Boire de l’eau stérile n’est pas nécessaire ni souhaitable pour notre système immunitaire.
Q : Peut-on attraper le COVID-19 par l’eau du robinet ? R : Non. Le SARS-CoV-2 est un virus respiratoire. Il est très fragile dans l’eau et très sensible au chlore. Aucune transmission par l’eau potable n’a été démontrée.
Q : Pourquoi mon eau est-elle trouble/blanche au robinet ? R : C’est souvent de l’air dissous sous pression. Si vous laissez reposer l’eau dans un verre, les bulles remontent et l’eau devient claire. Ce n’est pas une contamination bactérienne. Si l’eau est marron/rouge, c’est de la rouille ou des sédiments (souvent après des travaux), il faut laisser couler.
Q : Les carafes filtrantes peuvent-elles contaminer l’eau ? R : Oui. Si la cartouche n’est pas changée, le chlore est enlevé (donc plus de protection) et les bactéries peuvent proliférer dans le filtre riche en matière organique. Une eau filtrée doit être consommée dans les 24h et conservée au frigo.
Q : Un puits privé est-il sûr ? R : Rarement sans traitement. Les eaux de surface ou peu profondes sont très vulnérables aux contaminations (fosse septique du voisin, animaux). Une analyse en laboratoire est indispensable et souvent obligatoire.
8. Glossaire
- Pathogène : Qui provoque une maladie.
- Biofilm : Communauté de micro-organismes adhérant à une surface (tuyau) et sécrétant une matrice protectrice.
- Zoonose : Maladie transmise de l’animal à l’homme.
- Indicateur de contamination fécale : Bactérie (comme E. coli) dont la présence signale que l’eau a été en contact avec des matières fécales, et donc potentiellement avec des pathogènes.
- Rémanence : Persistance de l’action désinfectante dans le temps.
Conclusion
Le risque microbiologique est le risque originel de l’eau. Si nos sociétés modernes l’ont largement maîtrisé grâce au génie sanitaire et au chlore, la vigilance reste de mise. Les infrastructures vieillissantes, le changement climatique (orages violents, hausse des températures) et les nouveaux pathogènes sont des défis constants.
Pour le consommateur, la confiance dans l’eau du robinet est justifiée, mais elle ne doit pas être aveugle. L’entretien de son réseau intérieur (chauffe-eau, robinetterie) est tout aussi crucial que le travail de l’usine de traitement pour garantir une eau saine jusqu’au verre.
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