· Pollution Chimique  · 12 min read

Les PFAS : Comprendre les polluants éternels

Une analyse approfondie des substances per- et polyfluoroalkylées, leurs origines, leurs impacts sur la santé et les solutions pour s'en protéger.

Une analyse approfondie des substances per- et polyfluoroalkylées, leurs origines, leurs impacts sur la santé et les solutions pour s'en protéger.

Introduction : Une menace invisible et persistante

Les substances per- et polyfluoroalkylées, plus communément appelées PFAS (prononcé “pifasse”), sont devenues en quelques années un sujet majeur de préoccupation sanitaire et environnementale. Surnommés “polluants éternels” en raison de leur extrême persistance dans l’environnement, ces composés chimiques d’origine synthétique sont désormais omniprésents : on les retrouve dans l’eau, l’air, les sols, la chaîne alimentaire et même dans le sang de la quasi-totalité de la population mondiale.

Mais que sont exactement ces substances ? Pourquoi ont-elles été créées ? Quels sont les risques réels pour notre santé et celle des écosystèmes ? Et surtout, comment pouvons-nous agir pour limiter notre exposition ?

Cet article complet vise à décrypter la complexité des PFAS, en s’appuyant sur les dernières données scientifiques et réglementaires. Nous explorerons leur histoire, leur chimie, leurs effets toxiques et les solutions existantes pour faire face à ce défi sanitaire du XXIe siècle.


1. La Chimie des PFAS : Pourquoi sont-ils “éternels” ?

Une famille nombreuse

Les PFAS ne désignent pas une seule substance, mais une famille chimique regroupant plus de 4 000 à 10 000 composés différents (selon les classifications). Ils partagent tous une structure commune : une chaîne d’atomes de carbone (C) liés à des atomes de fluor (F).

On distingue généralement deux grandes catégories :

  • Les polymères : De grosses molécules utilisées par exemple dans les revêtements antiadhésifs ou les textiles imperméables (souvent liés à la problématique des microplastiques).
  • Les non-polymères : Des molécules plus petites, souvent utilisées comme agents tensioactifs ou aides à la fabrication (comme le PFOA ou le PFOS).

La liaison Carbone-Fluor : Le secret de leur résistance

La liaison Carbone-Fluor indestructible

C’est la clé de tout. La liaison chimique entre l’atome de carbone et l’atome de fluor est l’une des plus fortes de la chimie organique. Elle est si solide que:

  • Rien ne la brise dans la nature (ni le soleil, ni les bactéries, ni l’eau).

  • Stabilité thermique : Elle résiste à des températures très élevées.

  • Stabilité chimique : Elle ne se dégrade pas facilement au contact d’acides, de bases ou d’oxydants.

  • Résistance biologique : Les bactéries et autres organismes vivants ne possèdent généralement pas les enzymes nécessaires pour briser cette liaison.

C’est cette stabilité exceptionnelle qui confère aux PFAS leurs propriétés industrielles recherchées (résistance à la chaleur, à l’eau, aux graisses), mais c’est aussi ce qui les rend quasi-indestructibles dans la nature. Une fois rejetés dans l’environnement, ils ne se dégradent pas, ou infiniment lentement, s’accumulant ainsi année après année.


2. Historique : De la découverte miracle au scandale sanitaire

Les années 1930-1940 : La naissance

L’histoire des PFAS commence par hasard en 1938, lorsqu’un chimiste de la société DuPont, Roy Plunkett, découvre le polytétrafluoroéthylène (PTFE), plus connu sous la marque Téflon. Cette matière blanche, glissante et résistante à la chaleur, trouve rapidement des applications militaires, notamment dans le cadre du projet Manhattan (la bombe atomique) pour sceller des vannes résistant à l’uranium corrosif.

Dans les années 1940 et 1950, la société 3M développe d’autres PFAS, notamment pour ses produits imperméabilisants (Scotchgard) et ses mousses anti-incendie.

L’âge d’or industriel

Pendant des décennies, les PFAS sont considérés comme des produits miracles. Ils envahissent notre quotidien :

  • Poêles antiadhésives.
  • Vêtements de pluie et de sport (Gore-Tex, etc.).
  • Emballages alimentaires (cartons à pizza, sachets de pop-corn).
  • Moquettes et tissus d’ameublement traités anti-taches.
  • Farts de ski.
  • Mousses d’extinction d’incendie utilisées par les pompiers et les aéroports.

Le réveil des consciences : L’affaire “Dark Waters”

Les premiers signaux d’alerte apparaissent en interne chez les industriels dès les années 1960-1970, mais restent confidentiels. Le scandale éclate véritablement à la fin des années 1990 grâce à l’avocat américain Rob Bilott.

Il découvre que l’usine DuPont de Parkersburg, en Virginie-Occidentale, a contaminé l’eau potable de dizaines de milliers de personnes avec du PFOA (acide perfluorooctanoïque). Son combat juridique, qui a duré 20 ans, a permis de révéler au monde la toxicité de ces substances et les dissimulations de l’industrie. Cette histoire a été immortalisée dans le film Dark Waters (2019).

Depuis, la recherche scientifique s’est accélérée, confirmant l’ampleur de la contamination mondiale.


3. Sources d’exposition : Comment les PFAS entrent-ils dans notre corps ?

Nous sommes exposés aux PFAS par de multiples voies, souvent sans le savoir.

L’eau potable

C’est l’une des sources majeures d’exposition, en particulier pour les populations vivant à proximité de sites industriels, d’aéroports ou de bases militaires (utilisateurs de mousses anti-incendie). Les PFAS étant très solubles dans l’eau et mobiles, ils migrent facilement des sols vers les nappes phréatiques et les rivières. Les stations d’épuration classiques ne sont pas équipées pour les éliminer efficacement.

L’alimentation

Les aliments peuvent être contaminés de plusieurs façons :

  • Bioaccumulation : Les poissons, les fruits de mer, la viande et les produits laitiers peuvent accumuler des PFAS présents dans leur environnement (eau, sols).
  • Transfert : Les PFAS présents dans les emballages alimentaires (papiers, cartons traités anti-graisse) peuvent migrer vers la nourriture, surtout si elle est chaude et grasse.
  • Agriculture : L’utilisation de boues d’épuration comme engrais ou l’irrigation avec de l’eau contaminée peut contaminer les cultures.

L’air et les poussières

Les PFAS volatils peuvent être inhalés. De plus, les produits traités (tapis, textiles) libèrent des fibres et des particules chargées de PFAS qui se retrouvent dans la poussière domestique, que nous ingérons involontairement (surtout les jeunes enfants).

Les produits de consommation

Cosmétiques (fonds de teint, mascaras waterproof), fils dentaires, vêtements techniques, ustensiles de cuisine… La liste est longue.


4. Impacts sur la Santé : Ce que dit la science

La toxicité des PFAS est aujourd’hui bien documentée, même si des zones d’ombre subsistent vu le grand nombre de substances concernées. Les études se sont principalement concentrées sur les composés les plus anciens et les plus utilisés (PFOA, PFOS, PFHxS, PFNA).

Effets avérés et suspectés

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et d’autres organismes de santé publique (comme l’EPA aux États-Unis) reconnaissent plusieurs effets néfastes, même à de très faibles doses :

  1. Système immunitaire : Diminution de la réponse immunitaire à la vaccination chez les enfants. C’est l’effet critique retenu par l’EFSA pour établir la dose tolérable hebdomadaire.
  2. Cholestérol : Augmentation des taux de cholestérol (LDL) dans le sang, augmentant le risque cardiovasculaire.
  3. Foie : Augmentation des enzymes hépatiques, signe de dommages au foie.
  4. Développement : Diminution du poids à la naissance.
  5. Cancer : Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé le PFOA comme “cancérogène pour l’homme” (Groupe 1) et le PFOS comme “peut-être cancérogène” (Groupe 2B). Les liens les plus forts concernent le cancer du rein et le cancer des testicules.
  6. Perturbation endocrinienne : Les PFAS peuvent interférer avec le système hormonal (thyroïde, hormones sexuelles), affectant la fertilité et le développement.

Populations vulnérables

Les fœtus et les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables car leur organisme est en plein développement. Les PFAS traversent la barrière placentaire et passent dans le lait maternel. Cependant, les bénéfices de l’allaitement restent supérieurs aux risques dans la grande majorité des cas.


5. Impact Environnemental : Une pollution globale

La contamination par les PFAS ne connaît pas de frontières. On en retrouve :

  • Dans les glaces de l’Arctique et de l’Antarctique.
  • Au sommet de l’Everest.
  • Dans les fosses océaniques les plus profondes.
  • Dans le sang des ours polaires et des animaux sauvages partout sur la planète.

Persistance et Bioaccumulation

Contrairement à d’autres polluants qui se dégradent avec le temps, la quantité de PFAS dans l’environnement ne fait qu’augmenter (c’est le principe du “stock” polluant). Ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire (bioamplification). Un prédateur en haut de la chaîne (comme l’homme, l’ours polaire ou l’orque) aura des concentrations beaucoup plus élevées que ses proies.

Effets sur la faune

Les études montrent des effets similaires à ceux observés chez l’homme : perturbation du système immunitaire, problèmes de reproduction, atteintes au foie et aux reins chez diverses espèces animales.


6. Réglementation : Où en est-on ?

La prise de conscience réglementaire est lente face à l’ampleur du problème et au lobbying industriel.

Au niveau international

La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP) a inscrit certains PFAS sur sa liste noire (interdiction ou restriction mondiale) :

  • PFOS (depuis 2009).
  • PFOA (depuis 2019).
  • PFHxS (depuis 2022).

En Europe

  • Directive Eau Potable (2020) : Elle fixe pour la première fois des limites pour les PFAS dans l’eau du robinet.
    • 0,10 µg/L pour la somme de 20 PFAS ciblés.
    • 0,50 µg/L pour la totalité des PFAS (paramètre plus difficile à mesurer).
    • Les États membres ont jusqu’à 2026 pour se mettre en conformité.
  • REACH : Plusieurs restrictions sont en place ou en cours d’élaboration. Une proposition audacieuse de 5 pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Suède, Norvège) vise à bannir l’ensemble de la famille des PFAS (restriction universelle), avec des dérogations limitées dans le temps pour les usages essentiels sans alternative.

En France

  • La France transpose la directive européenne sur l’eau potable. Les contrôles sanitaires incluent progressivement la recherche des 20 PFAS depuis 2023.
  • Un “Plan d’action ministériel PFAS” a été lancé pour améliorer la connaissance, la surveillance et la réduction des rejets.
  • Une proposition de loi visant à restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS (notamment les vêtements, les cosmétiques et les farts) a été débattue en 2024, marquant une avancée politique majeure, bien que le chemin législatif soit encore long.

7. Études de cas : Quand la pollution devient visible

La “Vallée de la Chimie” (Sud de Lyon)

C’est l’un des cas les plus emblématiques en France. La présence des usines Arkema et Daikin à Pierre-Bénite a entraîné une contamination massive des sols, de l’air et de l’eau (nappe du Rhône) aux PFAS.

  • Des taux élevés ont été retrouvés dans les œufs des poulaillers domestiques, les poissons du Rhône et les légumes des jardins.
  • Les autorités ont dû recommander de ne plus consommer ces produits locaux.
  • Des études d’imprégnation de la population sont en cours pour mesurer l’ampleur de l’exposition.

Rumilly (Haute-Savoie)

La présence de l’usine Tefal et d’un ancien site d’entraînement des pompiers a conduit à une pollution des eaux souterraines et de surface. L’eau potable de la commune a dû être traitée en urgence ou diluée pour respecter les normes de qualité.

Zwijndrecht (Belgique)

L’usine 3M près d’Anvers est responsable d’une pollution historique massive. Les travaux du périphérique d’Anvers ont dû être stoppés en raison de la contamination des terres excavées. C’est l’un des plus gros scandales environnementaux de Belgique.


8. Comment se protéger ? Solutions pratiques

Face à cette pollution ubiquitaire, le “risque zéro” n’existe pas, mais il est possible de réduire son exposition.

Pour l’eau de boisson

Si votre eau du robinet dépasse les normes (ce qui est rare mais possible dans certaines zones, renseignez-vous auprès de votre mairie ou sur le site de l’ARS) :

  1. Charbon actif : Les carafes filtrantes ou les filtres sur robinet à base de charbon actif sont efficaces pour réduire significativement les taux de PFAS (notamment les molécules à chaîne longue). Attention à changer les filtres régulièrement pour éviter le relargage.
  2. Osmose inverse : C’est la technique la plus radicale et la plus efficace. Elle élimine la quasi-totalité des polluants, y compris les PFAS. C’est un investissement plus coûteux et qui consomme de l’eau, mais qui garantit une pureté optimale.

Au quotidien

  • Cuisine : Remplacez vos vieilles poêles antiadhésives rayées. Privilégiez l’inox, la fonte ou la céramique.
  • Alimentation : Évitez autant que possible la “fast-food” et les emballages en carton gras (frites, burgers, pizzas), souvent traités aux PFAS.
  • Textiles : Lavez les vêtements neufs avant de les porter. Recherchez les labels “PFC-free” ou “sans PFAS” pour les vêtements imperméables.
  • Ménage : Passez l’aspirateur régulièrement (avec un filtre HEPA si possible) et aérez votre logement pour éliminer les poussières contaminées.

9. Foire Aux Questions (FAQ)

Q : Faire bouillir l’eau élimine-t-il les PFAS ? R : Non. Au contraire, faire bouillir l’eau concentre les polluants car une partie de l’eau s’évapore, mais les PFAS restent (ils sont très stables thermiquement).

Q : L’eau en bouteille est-elle garantie sans PFAS ? R : Pas nécessairement. L’eau en bouteille provient de nappes souterraines qui peuvent aussi être contaminées. Cependant, les sources d’eau minérale sont généralement situées dans des zones préservées et très surveillées. Des études ont montré des traces dans certaines bouteilles, mais souvent à des niveaux inférieurs à ceux de l’eau du robinet des zones contaminées.

Q : Les PFAS traversent-ils la peau ? R : Très peu. L’absorption cutanée (douche, bain) est considérée comme une voie d’exposition mineure par rapport à l’ingestion. Le risque principal vient de l’eau que l’on boit.

Q : Existe-t-il un moyen de “détoxifier” son corps des PFAS ? R : Il n’existe pas de traitement médical spécifique. La meilleure “détox” est d’arrêter l’exposition. Le corps élimine naturellement les PFAS, mais cela prend du temps (plusieurs années pour réduire le stock de moitié). Le don de sang régulier a été identifié par certaines études comme un moyen de réduire les taux sériques de PFAS (en éliminant une partie du sang chargé).

Q : Tous les revêtements antiadhésifs contiennent-ils des PFAS ? R : La plupart des revêtements traditionnels de type PTFE (Téflon) en sont des polymères. Bien que le PFOA (additif toxique) ne soit plus utilisé dans leur fabrication en Occident, le matériau lui-même est un PFAS. Les revêtements en céramique sont une alternative sans PFAS.


10. Glossaire

  • PFAS : Substances Per- et PolyFluoroAlkylées.
  • PFOA : Acide PerFluoroOctanoïque (interdit, anciennement utilisé pour le Téflon).
  • PFOS : Sulfonate de PerFluoroOctane (interdit, anciennement utilisé dans les mousses anti-incendie et le Scotchgard).
  • GenX : Nom commercial d’une technologie de remplacement du PFOA, utilisant des PFAS à chaîne plus courte (mais toujours problématiques).
  • POP : Polluant Organique Persistant.
  • Bioaccumulation : Capacité d’un organisme à absorber une substance chimique plus vite qu’il ne l’élimine.
  • Demi-vie : Temps nécessaire pour que la moitié de la quantité d’une substance présente dans le corps ou l’environnement soit éliminée. Pour certains PFAS chez l’homme, elle se compte en années.

Conclusion

Les PFAS représentent un défi sanitaire et environnemental majeur de notre époque. Si leur utilité industrielle a été indéniable, le coût caché de leur persistance et de leur toxicité est aujourd’hui trop lourd.

La prise de conscience est là, la réglementation avance, mais l’héritage de décennies de pollution restera présent longtemps. En tant que citoyen et consommateur, s’informer est la première étape pour agir. Choisir de filtrer son eau, adapter ses habitudes de consommation et soutenir les initiatives visant à interdire ces substances sont des leviers puissants pour protéger sa santé et celle des générations futures.

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